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Décès de James MILLET survenu le 4 avril 2024

Dans l’année de ses 80 ans

Il est né le 5/12/1943 à Selles sur Cher  et décédé le 04/4/2024 à Créteil

Lors de sa réponse aux vœux du Bureau, Michel, son frère, adhérent de notre Amicale, nous a demandé si nous avions été avisés du décès de son frère, James, ancien Officier Mécanicien Navigant de la Postale.
En l’occurrence, non.

Il est de bon ton dans une association de ne pas faire étal de ses convictions politiques afin de ne heurter personne. Aujourd’hui, je vais y faire exception. Je pense que vous me le pardonnerez au vu de ce que vous allez lire. Plantons le décor.

J’ai passé ma jeunesse dans un milieu originaire de l’ouest de la France rurale, milieu imprégné de catholicisme pratiquant, avec tout ce qui va avec. C’est vous dire ! Parmi mes ancêtres, j’ai moi-même répertorié trois aïeux morts pendant les guerres de Vendée, tués par les colonnes infernales des armées républicaines…

J’en viens à ma rencontre avec James. J’ai fait sa connaissance en suivant le cours dispensé par lui sur le fonctionnement de l’hélice à pas variable du Fokker 27.

Limpide, à l’écouter ! D’une simplicité biblique (excuse-moi, James, pour cette référence religieuse). On en serait presque arrivé à se demander pourquoi le pas variable n’avait pas été inventé plus tôt ! Ultérieurement et à plusieurs reprises, j’ai eu l’occasion de constater à nouveau ses talents de professeur et d’instructeur.

Durant ma première année à la Postale (1985) je suis amené à voler avec lui. Bien après le décollage et bien avant la phase d’atterrissage, moment de détente au sein du cockpit. James lit un journal. Je me penche vers lui afin d’en lire le titre : « l’Humanité ». J’avais à côté de moi mon premier communiste, moi, issu d’un milieu où LE communiste ne pouvait être représenté que le couteau entre les dents pour tuer les capitalistes bourgeois !

« Tu crois tout ce qui est écrit là-dedans ? » lui dis-je. « Bien sûr pas tout, mais je partage une grande partie des analyses. Tu veux qu’on en parle ? ».

« Volontiers » fut ma réponse.

Plus tard, en escale, je lui ai tout assené : les crimes de Lénine, de Staline, de Mao, de Pol Pot, le goulag, le grand écart du pacte germano-soviétique, les sabotages du parti communiste dans notre industrie de défense d’avant ce pacte, la fuite de Thorez en URSS et son retour triomphal dans la France d’après guerre, etc…

Puis je l’ai écouté m’exposer sa vision du monde.

Discours cartésien et empreint d’humanisme. Déstabilisant, si on veut bien le considérer objectivement. De plus, pas un soupçon de prosélytisme militant.

James, c’était un pur, croyant en un avenir radieux du socialisme. Un poil utopique, quand même au vu de la réalité. Depuis cette discussion, j’ai toujours eu pour lui un profond respect, voire de l’affection.

Taiseux, jamais énervé, jamais un mot plus haut que l’autre, il avait cependant une vision acérée du milieu professionnel humain que nous fréquentions, si et seulement si on le lançait sur le sujet.

Ceci étant dit, il avait un défaut éminemment désagréable. Il fumait comme un pompier !

J’ai le souvenir de descente en Transall vers Ajaccio, avec Bernard Champroux comme CDB. On aurait dit qu’ils faisaient un concours à qui aurait fumé le plus de cigarettes. Moi qui ne fume pas, j’arrivais en Corse, les yeux aussi rouges que ceux des lapins albinos qu’élevait ma grand-mère pour leur fourrure immaculée (encore une référence religieuse)…

.Voilà, c’était James tel que je le percevais et que je continuerai à le percevoir.

Adieu James, adieu camarade.

Je ne te donne pas rendez-vous au paradis des aviateurs, ce serait faire offense à tes convictions. Mais sache que tu resteras longtemps présent dans la mémoire de bon nombre d’entre nous.

Patrick Viau.

De Gilles Herrmann (dernier chef-pilote de la Postale de Nuit)

James, le collègue du bureau d’à côté, le pédagogue, l’ami et le mécano d’exception,

 Ton décès ferme la dernière page d’un gros chapitre de la Postale de Nuit, mais aussi de mon histoire personnelle d’aviateur.

En 1981 quand je suis arrivé comme copilote à la Postale tu étais au tableau noir des salles de cours à nous expliquer dans le détail les fonctionnements les plus exotiques que j’ai connus comme les butées de l’hélice ou les différentes performances des moteurs avec des torques du simple au double ! C’était du sérieux, et nous t’écoutions de toutes nos oreilles. Mais je me demandais où j’étais tombé, pourtant je venais du Cadre Noir de la Caravelle. Tu savais répondre à toutes les questions et tu prenais ton temps pour réexpliquer encore et encore. Beaucoup d’années plus tard, je me suis trouvé devant un aréopage de professeurs de médecine à la faculté pour un exposé pédagogique. On m’a demandé de définir en quelques mots un bon enseignant. Je me souviens, pris de court, d’avoir répondu : “un bon maître est un enseignant qui maîtrise parfaitement sa matière et qui souhaite par générosité que son élève parvienne à le dépasser”. À ce moment-là, c’est à toi James que je pensais. Malgré tous tes efforts je ne connais finalement personne qui t’ait dépassé sur F27.

En 1995, quand j’ai pris le commandement du service des navigants de la Postale, j’ai procédé à des remplacements et des nominations de cadres, non pas pour asseoir une quelconque autorité, mais pour essayer de préserver au mieux la Postale et ses personnels, et aussi surtout pour garantir la sécurité des vols. Ta personnalité et ta compétence reconnues de tous imposaient évidemment de te confier des responsabilités de cadre. Je savais que la couleur politique dont t’avaient affublée les chefs précédents était injustement un problème. Je t’ai nommé chargé de mission. J’ai bien entendu pris une salve de reproches, mais j’ai tenu bon et je m’en félicite parce que je suis convaincu que si nous n’avons pas eu d’accident à la fermeture de la Postale c’est en très grande partie grâce au travail d’entraînement des équipages par les instructeurs mécaniciens navigants lors des Révisions des Manœuvres de Secours. Et ce travail c’est toi qui l’encadrait et qui en a maintenu la très haute qualité.

Tu étais toujours prêt à m’épauler dans toutes mes excentricités en me faisant confiance si je te disais que c’était selon moi dans l’intérêt du stagiaire. Un jour nous sommes partis tous les deux à Pau avec un stagiaire pilote en totale déroute à la qualification F27. À cette époque je m’étais attribué le pouvoir d’organiser des séances d’instruction sans respecter toutes les contraintes administratives. Les dépenses corrélatives m’importaient peu s’il s’agissait des intérêts du stagiaire et de la compagnie, qui étaient toujours les mêmes alors que d’aucuns au sein de la direction n’y voyaient par bêtise qu’une violation du règlement. Nous voilà donc dans l’avion d’Air Inter vers Pau et tu me demandes ce qu’on va y faire et selon quel programme d’instruction. Alors tu me regardes complètement interloqué quand je te réponds que pour commencer on va juste s’assoir dans l’avion mis sous tension. La Postale ne disposait pas de simulateur F27. Ainsi nous avons passé quelques heures avec le stagiaire à faire semblant de piloter. Moi je surveillais les yeux, les mains et les pieds du stagiaire pendant que tu bricolais, je n’ai jamais compris comment, tes manettes et tes disjoncteurs pour simuler la phase de vol. Ensuite nous avons mis les moteurs en route mais toujours au sol. Plus tard nous sommes partis en vol avec un stagiaire qui a aisément atteint le niveau standard et qui a poursuivi une carrière sur F27 et d’autres avions sans aucun problème. Sans toi ce stagiaire échouait et était perdu pour la compagnie. Il fallait juste un peu de temps pour reposer le stagiaire et rétablir sa confiance en lui. Je tenais cette idée du livre d’Anna Reitsch qui révisait ses premières leçons de pilotage de cette façon assise dans son lit. En gardant les yeux fermés, elle bougeait les bras et les jambes comme si elle manipulait les commandes tout en imaginant où son regard devait se porter. Mon père, instructeur en aéroclub, m’avait aussi appris, quand je le suis devenu, de toujours regarder les yeux des élèves.

J’ai un autre souvenir, pas glorieux du tout pour moi. Un jour nous tournions tous les deux autour d’un F27 et à propos d’un équipement je t’ai dit une énorme “connerie”, et tant que j’y étais une vraiment très grosse. Je me souviens de ton “Oh,… Gilles !”. J’y pense encore très souvent et c’est mon plus mauvais souvenir d’aviateur, non pas d’avoir dit une bêtise ce jour-là, mais de t’avoir déçu, toi à qui je dois tant.

James tu étais un “Grand Monsieur” et un camarade très cher à mon cœur.

Gilles Herrmann (dernier chef-pilote de la Postale de Nuit)

Michel VALLENET et James MILLET – Mars 2006