Je vais vous raconter une histoire. Lors de mon séjour sur B 747, j’ai fait longtemps équipage avec un copilote avec qui j’avais sympathisé. C’était un expert de l’histoire de l’aviation, spécialement celle d’Air France et des compagnies constituantes réunies en 1933.
Un jour, il m’offrit un livre intitulé « le pilote oublié », écrit par Gaston Vedel, pilote passé entre autres activités aériennes par l’Aéropostale. Intéressant, ce livre. Je l’ai lu et oublié sur une étagère de ma bibliothèque. Une fois à la retraite, après avoir épuisé le rangement|et les travaux intérieurs en attente depuis…un certain temps, il m’a fallu m’occuper. J’ai donc relu ce livre. Contaminé par le virus, je me suis mis à m’intéresser à la littérature aéronautique consacrée aux débuts de l’aviation commerciale française. Sur des sites de vente par internet, je me suis alors procuré plusieurs ouvrages anciens, généralement en édition d’époque, certains parfois dédicacés.
Entre autres, figurait parmi ces ouvrages, « dans le vent des hélices » écrit par Didier Daurat. Passionnant.
En substance et pour cerner le contexte, il est envoyé en 1934 par la Direction d’Air France en voyage en Allemagne et aux USA afin d’y étudier l’état d’avancement de l’activité aéronautique de ces pays. C’était aussi et peut-être un moyen d’éloigner un encombrant personnage de fort caractère et à qui Air France ne souhaitait pas laisser la maîtrise de l’activité du transport du courrier vers l’Amérique du Sud. L’Allemagne lui fit bon accueil, reconnaissant ainsi la valeur d’un concurrent redoutable dans la desserte de ce sous-continent. En Allemagne, il constatera l’entière mobilisation du pays derrière son aviation, ceci à mettre en opposition avec le climat de dénigrement délétère régnant dans la France aéronautique de l’époque. Hormis ce constat de disproportion d’intérêt pour l’activité commerciale aéronautique, le récit qu’il en fait dans son livre ne mentionne aucun rapport adressé à la Direction d’Air France pour ce périple allemand.
Il n’en est pas de même pour le séjour aux USA. Cette mission fut sans conteste plus riche d’enseignements que celle en Allemagne. Il découvrit comment l’aviation marchande américaine fonctionnait, sur quelles bases et avec quels moyens industriels en relation avec le domaine de l’exploitation aérienne. Aux USA de l’époque, la navigation était axée sur le support de radiophares, affranchissant ainsi le pilote d’un intermédiaire au sol, en supposant bien entendu, le bon fonctionnement de ces radiophares. L’existence des radiophares n’impliquait pas pour autant l’inexistence des phares aéronautiques. Disons qu’ils étaient complémentaires. A contrario, dans les pays européens, la radiogoniométrie, héritage d’une pratique maritime, était en usage et prévalait en complément des phares aéronautiques.
La lecture du livre de Daurat m’avait laissé sur ma faim. Qu’y avait-il donc dans ce rapport ? A pareille époque j’étais en relation avec Mr Parenteau du musée Air France. Je lui posai la question de savoir si ce rapport existait dans les collections du musée. Réponse négative.
Dans l’année qui suivit, je pris la Présidence de l’AAPN. D’emblée le bureau fut confronté au déménagement des archives de l’Amicale entreposées au sous-sol dans les sheds d’Orly en compagnie des archives du musée Air France. Elles étaient composées d’une vingtaine de colis remplis par Bernard Pourchet avec les archives d’exploitation résultant de la cessation de l’activité du CEP. Par ailleurs, l’AAPN avait quatre armoires pleines de documents liés à son activité, complétés par des archives historiques propres à la Postale de Nuit.
Je fais bref : nos colis sont à CDG dans la « cathédrale », au sous-sol de la DO, avec les archives du musée. Le contenu des quatre armoires tient dans une armoire et demie et l’AAPN est logée chez AFI/ORY dans un local partagé avec l’association des retraités IT et celle regroupant les anciens officiers mécaniciens navigants. C’est à ce moment que je me suis mis à trier nos archives historiques, dénommées « archives Thibou », du nom d’un ancien CDB de la Postale.
Quelle ne fut pas ma surprise d’y trouver ce fameux rapport ! Pas celui transmis à la Direction d’Air France, assorti de nombreuses publicités liées aux entreprises visitées, rapport introuvable de nos jours, mais la copie d’époque, conservée par Daurat dans ses propres archives.
Avant de vous en souhaiter une bonne lecture, parlons un peu de Daurat, l’homme ou l’auteur, à votre libre choix.
En termes d’exploitation aérienne, le Daurat de 1935 et de la création d’Air Bleu n’a plus rien à voir avec le Daurat de 1920, même si celui de 1935 était toujours le même que celui de 1920. Question caractère et rapports humains, il était resté intransigeant, cassant, dur avec tous, que ce soient le personnel au sol ou les navigants. Seul comptait le fait que la Ligne devait passer. C’était le digne émule et factotum du Latécoère d’avant le rachat des Lignes du même nom.
Rappelons que le Daurat/Directeur du début des années vingt faisait enlever les boussoles des Breguet XIV pourtant livrés avec cet équipement. Il voulait que ses pilotes restent en vue du sol et des repères balisant la route. C’est au niveau de l’instrumentation des cockpits qu’il va profondément évoluer. Au sein d’Air Bleu dont il est un des instigateurs, il fera équiper les Caudron Simoun d’une planche instrumentale dont la disposition est directement inspirée par celles des avions américains. Nous aborderons ce sujet dans un prochain article consacré au Caudron Simoun.
Concernant le Daurat/auteur, nous pourrions lui consacrer un article qui pourrait être intitulé « Daurat et le droit d’inventaire », si on veut bien mettre en comparaison les propos tenus dans son livre avec la réalité du contexte aéronautique français de pareille époque.
N’anticipons pas à propos de ces potentiels articles restant à écrire.
Bonne lecture du rapport de 1934.
Patrick Viau.